Le rire de Jake se joignit à celui d'Olivia. L'ambiance était bien meilleure et il en était soulagé. Elle était à présent à côté de lui, et il se tourna légèrement pour la regarder un peu plus de face.
- Hmm… Sur les photos je suis souvent super bien habillés. Chemises, petite veste, beau pantalon. Mais ma mère m'a dit que je faisais tellement de bêtises que mes vêtements finissaient souvent déchirés. La pauvre.
Il eut un sourire. Parler de la vie de Jake comme étant la sienne n'était pas simple. Il ne culpabilisant pas outre mesure : il était persuadé être un meilleur fils que le jeune homme et de toute façon, il n'y pouvait rien. Il était dans ce corps, il n'avait pas fait exprès. Il se rassurait en se disant que l'esprit de Jake était sûrement en voyage pour un nouveau corps, lui aussi.
Il se posait souvent des questions sur la réincarnation. Il se demandait si tout le monde se réincarnait. Tout le monde ne devait pas s'en souvenir par contre, sinon le sujet serait régulièrement évoqué.
- Apparemment, j'étais un enfant assez turbulent, et c'était pire encore à l'adolescence. Heureusement que j'ai changé après le coma. Je suis un meilleur fils maintenant, j'imagine. Mes cousins me préfèrent maintenant en tout cas, avoua-t-il en levant les yeux au ciel.
Il n'avait que rarement l'occasion de parler de tout ça. Avec sa mère, c'était beaucoup trop malaisant. Et il n'était tellement proche de personne d'autre. Alors ce soir là, il se lâchait un peu sur le sujet. Il en parlait d'un ton très doux, presque détaché.
- J'ai l'impression d'avoir vécu deux vies.
Il haussa les épaules, avant de boire une nouvelle gorgée.
Étrangement, je n'ai aucun mal à imaginer la scène.
Effectivement, la pauvre !
Je reste silencieuse à la suite. Il s'est réveillé différent ? C'est… perturbant. Je crois que c'est la première fois qu'on me dit ça. Je commence sérieusement à me poser des questions. Le coma… la perte de mémoire… le fait qu'il ait changé au réveil… ça fait beaucoup de coïncidences. Je bois de longues gorgées de mon verre pour cacher ma surprise et la drôle d'impression que ça me donne. Je n'ai pas envie de me faire de faux espoirs. Ça serait trop beau pour être vrai.
Quand il ajoute sa dernière phrase, je suis contente d'avoir fini mon verre, sinon je me serais étouffée avec. J'ai un peu pâli, j'en suis sûre quand cette impression bizarre revient.
Ah oui? C'est drôle, j'ai la même impression.
J'ai presque envie de lui demander si il croit à la réincarnation mais quelque chose me retient, un pressentiment. Je pose mon verre sur la table et laisse mes doigts parcourir le verre en regardant toujours Jake.
Tu as sans doute vu la différence entre les deux photos que je t'ai montrées… moi aussi je sais ce que c'est de perdre la mémoire, même si c'est flou.
Je détourne le regard pour le poser sur le verre à champagne devant moi.
J'ai fait une mauvaise chute et j'ai eu un coup sur la tête quand j'avais 8 ans. Quand je me suis réveillée, tous mes souvenirs s'étaient évaporés… il paraît que je n'étais plus la même qu'avant…
Je sers les lèvres au souvenir de ces années. Normalement je n'aurais pas dû m'en rappeler mais je me souviens de chaque année. Ces souvenirs-là prenant le pas sur mes souvenirs de ma vie en tant qu'Edith. Mon enfance dans les années 2000 qui remplace petit à petit mon enfance dans les années 20. Je me rappelle à peine du visage de mes frères et de ma sœur. A ma décharge, je ne l'ai plus vu depuis le moment où je me suis mariée avec Jack. De toute façon, on n'était pas si proche que ça.
Mais je suppose que ce n'est rien comparé à ce que tu as perdu…
La même impression ? Jake resta silencieux, même si tout dans son attitude montrait qu'il écoutait avec attention la jolie demoiselle. Il lui laissait l'espace pour se confier, tout simplement. Ce qu'elle fit, d'ailleurs. Il ne regrettait pas d'avoir abordé le sujet de sa réincarnation, de manière totalement détourné. Au final, il en apprenait beaucoup sur Olivia également.
Il comprenait la différence entre les deux photos. Après un tel choc, et après avoir perdu la mémoire, il était normal que les deux petites filles sur le papier glacé semblaient si différentes et si semblables à la fois. Par contre, sa dernière phrase le pris de court. Ce qu'il avait perdu ? Si Édith était ici, avec lui, il s'estimerait surtout chanceux d'avoir échappé à la mort, malgré la pauvreté, son visage moins beau et le fait qu'il avait eu beaucoup entraîner son œil et sa main pour rattraper son niveau artistique. Sans Édith… Il avait perdu l'envie de vivre. Il n'avait tenu bon que pour sa mère, qui lui avait semble si désespérée.
- Je ne sais pas. Je ne pense pas avoir perdu grand chose. Je suis comme je suis aujourd'hui, le passé est le passé.
Il était plutôt terre à terre, mais une vie qu'il n'avait pas vécu ne pouvait pas lui manquer.
- Au même titre que tu es la toi d'aujourd'hui, et que tu es super comme ça.
Il lui fit un clin d'œil, avant de se tourner vers sa boisson, légèrement gêné d'avoir encore complimenté une femme si jeune.
Il a sans doute raison, j’ai toujours cru qu’on ne pouvait pas manquer ce qu’on n’a jamais connu. Comme… l’amour, même si le proverbe dit que mieux vaut souffrir d'avoir aimé que de souffrir de n'avoir jamais aimé. Son compliment me fait recouvrer le sourire. Sur un ton léger, je réponds:
Ce n’est pas faux !
Sur ces mots, je prends la bouteille et me ressert. Je jette un coup d'œil à Jake et rempli son verre aussi.
On commencera notre marathon pour voir qui tient le plus longtemps après le dessert.
D’un ton plus enthousiaste, j’ajoute:
D’ailleurs, faudra qu’on décide par quel alcool on commence ! J’ai un petit stock au cas où.
Je reprends quelques chips avant de me frotter les mains et me lever.
Si le marathon était après le dessert, autant arrêter de boire de l’alcool pour l’instant. Il partirait avec un désavantage. Après ce verre, il comptait donc boire de l’eau en mangeant.
- Hé bien, que penser d’une demoiselle qui à un stock d’alcool ?
Il la chariait, comme à leur habitude désormais. Elle n’était pas en reste, et lui rendait souvent la monnaie de sa pièce. Ils passèrent ensuite à l’entrée, comme proposé par Olivia. Il l’aida à débarrasser la table de l’apéro, puis il s’installa en attendant sagement la salade césar.
Il lança plusieurs sujets de conversation : les voyages qu’Olivia avait fait, ses amis, et son travail. Ce fut ce dernier qui fut le plus fourni. Elle était insatiable à ce sujet, et en parlait avec passion. Aussi, il se laissa entraîner et appris à découvrir son univers. Les affaires étaient des affaires, mais la façon dont elle en parlait rendait le sujet intéressant.
Une fois l’entrée terminée, il lui adressa un sourire et la complimenta :
Je ris légèrement en allant chercher la salade et fais le service. J’ai l’impression que ça fait une éternité que je n’ai pas fait ça. C’est sans doute le cas quand on y regarde de plus près. On discute pas mal en mangeant, surtout moi en fait. J’essaie d’être la plus précise possible tout en essayant d’être claire, surtout en ce qui concerne le travail. Je ne donne pas de marques ni d’informations trop sensibles mais assez d’informations pour satisfaire sa curiosité et plus.
Mais de rien ! Et tu en doutais ?
J’ajoute sans attendre sa réponse sur un ton joueur:
Le reste du poison est dans le rôti !
Je me rappelle bien de sa taquinerie quand on avait parlé que je cuisine chez lui. Comme on a fini de manger, je me lève et prends mon assiette sale.
Si tu veux toujours aider tu peux débarrasser la table pendant que je vais m’occuper de la suite, si tu veux.
Si il ne le fait pas, je le ferais moi-même mais je doute qu’il veuille rester sans rien faire. Sans demander mon reste, je file derrière le comptoir de la cuisine pour sortir les plats du four. J’ai prit un morceau de viande assez grand pour quatre alors, si il est encore là demain midi, on pourra finir le reste. D’une main experte, je commence à découper le rôti consciencieusement.
T’aimes ta viande comment ? Saignante ou à point ? Grâce à mon talent exceptionnel, j’ai les deux !
Il eut un sourire et fit un signe négatif de la tête. Non, il était certain que le repas serait bon, malgré ses boutades. Après tout, elle était “la meilleure cuisinière de pain de viande des Etats-Unis” !
- Bien sûr, princesse.
Parce que bon, il n’allait pas sortir la blague sur la “chérie” à toutes les sauces. Cela deviendrait au mieux terriblement lourd. Il entreprit donc de débarrasser la table, et mit la vaisselle sale au lave-vaisselle.
- Mais quel prodige!
Il applaudit en plaisantant, cependant il devait reconnaitre qu’il était incapable d’en faire de même. Sa mère, sûrement. Il n’avait jamais fait réellement attention. Ils ne mangeaient pas de viande très souvent non plus.
Saignante pour moi, s’il te plait !
Et comme il n’avait rien à faire, il prit place sur les tabourets du plan de travail et la regarda découper. Ils passèrent ensuite de nouveau à table, une fois les assiettes dressées. Après quelques bouchés, il avoua avec un air sincère :
- C’est délicieux, tu mérite ton titre de meilleure cuisinière des Etats-Unis !
Ils continuèrent ensuite le repas, tout en discutant de choses et d’autres. Ils avaient moins l’occasion de parler, lorsqu’ils courraient. Jake était soulagé de voir que la discussion restait facile avec la jeune femme. Elle se montrait particulièrement mature pour son âge.
Je garde mon sourire malgré sa plaisanterie, je pourrais le prendre mal mais ça m’amuse alors je ne m'offusque pas.
Ok !
Je lui mets une tranche saignante de côté et garde une autre qui est à point pour moi. Et ainsi le repas se déroule sans problème et sans l’ambiance bizarre du début. Je ne sais pas si j’aurais supporter longtemps cette atmosphère difficilement descriptible tout le long de la soirée. Et évidemment que je mérite mon titre de meilleure cuisinière des Etats-Unis. Peut-être plus maintenant mais avant oui !
Allez je propose une pause avant le dessert ! Et un petit jeu aussi.
Je prends la bouteille de cidre et mon verre avant de me diriger vers un des canapés pour m’y asseoir.
Alors, je te propose un “je n’ai jamais” ou un jeu où on raconte trois anecdotes -2 fausses et 1 vrai- et l’autre doit dire laquelle est vraie. Ça te dit ?
Si ça ne lui dit rien, j’ai d’autres trucs à lui proposer pour passer le temps.
Les couverts reposés, Jake ne pouvait plus rien avaler. Il n'était pas contre une pause, bien au contraire. Il suivit Olivia, verre en main et pris place à côté d'elle dans le canapé. C'était plus pratique d'être sur le même pour se resservir. C'était l'unique raison qui le faisait s'assoir à cette place précise. Il en était formel.
Il la regarda avec des yeux surpris. Bon, il avait déjà joué à "je n'ai jamais" avec ces plus grands cousins, et même parfois avec Lina quand ils étaient bien, bien éméchés. Il avait peur de trop boire avec un je n'ai jamais, alors il sauta sur l'occasion du deuxième jeu auquel il n'avait jamais pris part.
- Va pour les deux fausses et une vraie !
Il se dit soudainement que trouver de fausses phrases était difficile, même pour le joueur.
- Honneur aux dames !, lança-t-il d'un air nonchalant en levant son verre.
Je nous ressers et pose la bouteille sur la table basse. Il a choisi le jeu auquel je suis le plus douée, ce qui me fait sourire d’amusement encore.
Bien sûr et puis, c’est à moi de montrer l’exemple. Alors, laisse moi réfléchir.
Je bois un peu de cidre en réfléchissant. Par quoi commencer ? On va y aller par quelque chose de soft. Facile. Théoriquement.
Alors, numéro un: j’ai déjà mangé des insectes, numéro deux: j’ai déjà été dans un bar clandestin et numéro trois… j’ai rencontré une star de cinéma pendant mon voyage aux States.
Elles sont assez faciles pour moi, je corserais un peu le jeu plus tard.
Si tu perds, tu bois cul-sec !
Cette règle n’est pas vraiment obligatoire mais on a bien dit qu’on testerait nos limites non ?
A la mention du bar clandestin, il la fixa avec une certaine intensité. Où va-t-elle chercher une idée pareille ? En tout cas, celle-ci ne pouvait être vrai. Il eut de nouveau un sentiment de malaise, et il rejeta la pensée d'Edith qui s'imposait à lui. Les insectes… C'était possible, mais il m'a voyait plus rencontrer une star étant donné sa classe sociale.
- Tu as rencontré une star ? , demanda-t-il d'un ton pas très assuré.
Boire du cidre cul sec allait être écœurant et il avait hâte de passer aux vrais alcools à shooters.
- C'était Brad Pitt ? C'est quoi ton genre d'ailleurs ?
Il ne savait pas vraiment pourquoi il posait cette question. Sûrement pour faire la conversation. Il ne devait pas s’y intéresser sérieusement. Il n’en avait pas le droit. Il ne s’en donnait pas le droit.
Peut-être qu’elles étaient plus dures que je le pensais. Jamais il ne pourrait trouver la vérité là-dedans mais c’est ça qui est drôle. Qui croyerait qu’Olivia Duval, fille de bonne famille, fréquentait les bars clandestins ? Et pourtant, c’est la pure vérité. La prohibition, les speakeasy... Combien c’était excitant de braver l’interdit à l’époque. Ça mettait du piquant dans la vie de tous les jours. Sa réponse me fait sourire et je ris franchement quand il demande si c’était Brad Pitt.
J’aurais bien aimé mais non. Va-y tu peux boire ! Parce que t’as perdu.
Je le regarde avec un air de défi jusqu’à ce qu’il s’exécute. Je l’imite en finissant mon verre et je me dis qu’on devrait peut-être changer d’alcool si on doit boire cul-sec.
Mon genre hein ?
Je lève les yeux, faisant mine de réfléchir. Je sais très bien mon genre d’homme et le souvenir de Jack me revient en tête.
Un prince évidemment.
Je souris avant de me lever et chercher une bouteille de vodka ainsi que deux verres à shot. Je continue de parler en faisant tout ça.
Cheveux sombres, yeux gris, 1m80, avec du charisme, qui aime s’amuser, qui a une âme d’artiste en sachant voir la beauté dans les choses simples et qui sait profiter de la vie.
A la fin de ma liste, je suis de nouveau assise sur le canapé à côté de Jake, je nous sers deux verres et lui donne le sien en finissant par ajouter:
Galant et classe. Qui partage les mêmes valeurs que moi ou alors qui les comprend.
J’ai un nouveau sourire amusé avant de dire:
Bref, l’homme idéal et qui n’existe sans doute pas dans la réalité. Et toi alors ? C’est quoi ton type en dehors des femmes d’un certain âge ?
Ma question est posée avec un ton subtilement ironique. Je suis toujours aussi curieuse.
Je dois boire ? Alors elle a mangé des insectes ? Il soupira et bu son cidre cul sec, se gardant bien de faire la moue qui aurait dû traverser son visage. Il esquissa un sourire à la mention d'un prince. Bah voyons, pratique pour une princesse. Il reposa son verre sur la table et regarda le plafond alors qu'elle se levait, tout en détaillant son propos.
À la mention des qualités du dit prince, il fut prit d'un pincement au cœur. C'était lui. Enfin, son ancien lui. Aujourd'hui, il n'avait plus aucune classe, ses cheveux n'étaient plus couleurs ébènes et ses iris n'avaient plus leur teinte bleu-grise d'autre fois. Il était devenu tout simplement banal. Personne ne préfère les roux.
Il répondit par automatisme à son sourire amusé, même si il se sentait vide et las. Tout aurait été plus simple si il était né une première fois banal et pauvre, pour ensuite devenir beau et riche. La médiocrité de sa vie n'avait rien d'envieux.
- Oh, il a sûrement existé. Un jour ou l'autre.
Il adressa un sourire énigmatique, avant de lever les yeux au ciel suite au retour de question. Il ne pouvait pas dire que son type de femme n'était plus de ce monde. Mais en même temps… Édith avait toutes les qualités requises. Il n'allait pas plomber l'ambiance avec une défunte ex femme sur le tapis.
- Mon type… Je n'en ai pas vraiment. Drôle, j'imagine. Sûre d'elle, fière, intelligente mais aussi douce et gentille. Cela ne me gêne pas qu'elle soit manipulatrice, tant qu'elle ne l'utilise pas contre moi. J'aime les femmes qui font ce qu'il faut pour avoir ce qu'elles veulent. Je n'aime pas celle qui dépendent entièrement de moi.
Il avait les yeux dans le vague et un sourire rêveur.
Bien sûr qu’il a existé à un moment, c’était juste il y a plus de 90 ans. Je me retiens de soupirer et attends sa réponse avec impatience. Réponse qui me laisse un peu sans voix. Même si je n’aime pas faire des comparaisons, je trouve que ces qualités me ressemblent pas mal. Ça me laisse perplexe mais je n’en laisse rien paraître et me questionne à l’air qu’il arbore.
Hm on dirait presque que tu as déjà quelqu’un en tête en disant ça. Même si je ne suis pas mal non plus avec mon type bien particulier.
J’hausse les épaules de façon nonchalante. Je ne veux pas plomber l’ambiance alors je relance le jeu sans attendre sa réponse:
Il haussa les épaules. A ses yeux, personne n'était plus parfait qu'Edith. Même si elle avait ses propres défauts, elle avait été parfaite pour lui. Comparé à son ex-fiancé, cela ne faisait aucun doute. D'ailleurs, il fut frappé de ne même plus se souvenir du visage de son ex-fiancé, où de son ex-meilleur ami. Le temps faisait son œuvre. Est ce que je vais oublier Édith à ce point, un jour ?, songea-t-il.
- À mon tour ? Hmmm… Ce jeu est complexe.
Deux phrases fausses pour une vérité…
- J'ai peur des araignées, j'ai plus de 24 ans et j'aime la pizza à l'ananas.
Je plisse un peu les yeux pour le fixer avec attention pendant qu'il donne ses anecdotes. Aimer les pizza à l'ananas ? Yeurk. Je ne sais pas trop ce qui est vrai ou faux mais j'ai envie de le taquiner un peu alors je réponds avec confiance :
T'as plus de 24 ans !!
Amusée, je souris en ajoutant:
Dans ta tête en tout cas, si ce n'est pas physiquement. Tu es bien trop mature comparer aux autres mecs de notre âge.
Pour éviter qu'il ne le prenne mal, je m'empresse de préciser:
Mais ce n'est pas une mauvaise chose, c'est plutôt positif même de mon point de vue.
Il ne s’était pas attendu à ce qu’elle choisisse la vérité. Aimait-il les pizzas à l'ananas ? Il n’en avait jamais goûté. En tout cas, une chose était certaine, son âge réel était bien plus que 24 ! Il prit un air offensé, vexé, même si ce n’était pas le cas. Il jouait son petit jeu. Finalement, elle le complimentait donc un sourire éclatant reprit place sur son visage. Tu m’étonnes, que je suis mature comparé aux jeunes !
- Ah bon ? Toi aussi t’aime les vieux ?, répondit-il pour ne pas entrer plus en détail dans le sujet de son âge.
Il la taquinait, clairement. Si elle avait vu juste, elle ne buvait pas. Mais devait-il boire, lui, pour avoir perdu ? Il n’en savait rien. Elle n’avait rien précisé. Il resta donc dans l’attente, et l’observa suite à sa question.
Je rigole quand même à sa question, c’est vrai que ça se pourrait vu ce que je viens de dire.
J’ai dit mature, pas grabataire !
J’exagère un peu mais ça reste dans l’esprit. Est-ce que je le fais boire parce que j’ai visé juste ? Quoiqu’il n’a pas confirmé non plus.
Normalement, le perdant doit boire mais si on fait ça, je crois que tu vas vite être saoule ! Alors…
Je lève mon verre pour trinquer avec lui.
Je dis cul-sec pour nous deux !
Avec un sourire et sans attendre sa réponse, je bois le contenu de mon verre et j’ai une grimace après. C’est de la bonne vodka mais ça reste de l’alcool à haut dosage. Je saisis la bouteille pour me servir.
On peut donner des précisions aussi sur les anecdotes. Comme ça, on apprend des petits trucs sur l’autre. Genre je ne mangerais jamais d’insectes non plus.
Elle vient de me dire que je suis nul là, non ? pensa Jake en levant un sourcil. Il haussa les épaules. Un cul sec tous les deux, c'était mieux que boire tout seul. Il but donc son verre. Il reconnaissait l'alcool de qualité, même si la vodka sans diluant n'était pas ce qu'il préférait.
Il posa son verre un peu trop fort lorsqu'elle mentionna le fait qu'elle ne mangerait pas d'insectes. Une seule proposition restait : celle des bars clandestin. Les seuls bars clandestins qu'il avait connu étaient pendant la prohibition. Or, Olivia était bien trop jeune pour ça. Toutes ces similitudes avec sa regrettée Édith lui revinrent par flash en quelques secondes. Il était sans doute un peu plus blanc qu'auparavant. Il savait qu'il devait tuer cet espoir dans l'oeuf, pour ne pas souffrir. Après tout, Olivia connaissait sans doute des loisirs de jeune dont il n'avait pas idée.
- Et quel genre de bars clandestins une jeune fille comme toi peut elle bien fréquenter ?
Je sers Jake aussi en faisant mine de rien à sa question. Je m’y attendais à moitié à vrai dire, je n’ai juste pas de mensonge tout fait pour cette histoire de bar clandestin. Il va donc falloir improviser. Utiliser une demi-vérité pour que ça soit crédible. Je suis assez douée pour ça.
J’ai vécu un moment dans un pays où l’alcool était prohibé. On voulait s’amuser quand même et je connaissais un habitant qui avait un bon plan. Sécurisé bien sûr. Un peu comme les speakeasy au moment de la prohibition américaine.
Je ris un peu en haussant les épaules et ajoute:
Et je te l’ai déjà dit, je ne suis pas une jeune fille, non seulement je suis une adulte mais en plus, j’ai vécu plein de choses. Tu peux même pas deviner la moitié je parie !
Est-ce que je suis encore un peu vexée qu’il ait ce genre d’expression ? Complètement. Quand je dis qu’il parle comme un “vieux” parfois. Cependant, je ne le laisse pas paraître et conserve mon ton léger et mon sourire amusé. Je n’ai pas envie de me disputer avec lui.
La sentence était tombée. Voyait-il Édith en Olivia à la moindre occasion car il savait qu'il ne tournerait jamais la page ? Très certainement. Il appréciait beaucoup la présence de son hôte de la soirée, et apprendre qu'elle était elle aussi réincarnée aurait été rassurant, même si elle n'avait pas été Édith. Il se demandait souvent si il était le seul à en avoir conscience. Si d'autres étaient comme lui, tout simplement. Seul. Plus de sept milliards d'humain et pourtant il se sentait immensément seul.
Il se passa la main sur la nuque, écoutant la suite des explications. Il lui adressait un sourire de façade, mais ses pensées étaient ailleurs. Il était ailleurs. Il se sentait las de cette vie. Las de ces espoirs. Si une pilule pouvait lui faire tout oublier, il la prendrait immédiatement.
- Les speakeasy, répéta-t-il avec un sourire nostalgique.
Il leva les yeux au ciel lorsqu'elle mentionna avoir vécu plein de choses. Avec ses moyens financiers, il n'en doutait pas. États-Unis, pays où l'alcool est prohibé… Elle semblait vivre la jeunesse dorée de cette époque. En plus de leur écart d'âge, l'écart de classe sociale s'intensifia. Il se sentit soudain mal à l'aise.
- Je n'en doute pas !
Il tapotait son genou depuis un moment déjà et se décida.
- Ca te dérange si je descends fumer ?
Il avait surtout besoin d'air, et de faire de l'ordre dans ses idées pour ne pas être taciturne toute la sainte soirée.
