Depuis leur campement de fortune, une petite organisation avait vu le jour. Certains s'occupaient de la pêche, d'autres de la cueillette aux alentours, ou alors d'aller chercher du bois pour le feu, des feuilles de bananiers pour rembourrer leurs paillasses, etc... Les plus astucieux plaçaient des pièges autour du campement, pièges que d'autres allait vérifier à intervalle régulier pour récupérer le futur repas du groupe. Chacun alternait son poste avec les autres, ainsi tout le monde participait à la vie du camp.
Ce matin-là, Candice se réveille aux aurores, fatiguée de sa nuit écourtée. Les cauchemars lui revenaient à chaque nuit cela commençait à l'épuiser. Elle se lève tout de même, faisant attention à ne pas réveiller les nièces de Sloan sur les paillasses voisines, et prends ses vêtements pour aller se changer.
Elle revient une fois prête et s'accroupit près de la tête de son collègue et ami, posant la main sur son épaule en murmurant pour éviter de réveiller le reste du campement.
Sloan ?
Elle remue doucement l'épaule du grand blond et continue de murmurer pour le réveiller sans brusquerie :
Sloan, réveille-toi.
Ce matin, c'était leur tour de vérifier les pièges, comme ils en avait été convenu la veille. Elle le regarda dormir en lui laissant quelques secondes, un petit sourire aux lèvres en le voyant si paisible alors qu'il pouvait être si grognon parfois. Cette fois, elle se fit un peu plus insistante pour le réveiller :
Allez, debout matelot. Il faut qu'on y aille si tu veux éviter qu'on ne meurt de faim.
La vie de Sloan se résumait désormais à vivre au jour le jour. Étant donné qu'il faisait partie des messieurs qui ont l'air aguerri, il pouvait pas vraiment échapper aux besognes. Parfois, il arrivait à prétexter devoir s'occuper des deux crevettes blondes qui lui servaient de nièces, mais la plupart du temps, une satané Candice était au pied de guerre pour l'exhorter à travailler. En outre, c'était leur tour d'aller vérifier les pièges.
Sloan sommeillait encore, ayant passé la majeure partie de la nuit à veiller l'une des deux gamines qui cauchemardait. Il était donc plutôt fatigué. Et de mauvaise humeur, en conséquence. Candice vint le réveiller mais il fit le mort, puis à mesure qu'elle insistait, le grisou tiqua et lui tourna le dos, pas intéressé par la petite promenade.
- "T'as qu'à mettre un pied d'dans et on aura une bonne poire au dîner..."
Candice fronça les sourcils lorsque le grincheux fit entendre sa répartie. Ils n’en étaient pas encore au cannibalisme et elle avait beau être naïve et bienveillante, elle ne s’offrirait pas comme souper.
Voyant qu’il se rendormait et recommencer à avoir la respiration lourde, elle décida d’employer les grands moyens. N’ayant pas envie de savoir combien de temps il faudrait pour que monsieur se réveille, toujours accroupie près de lui, elle remue un peu plus son bras puis lui poke la joue avec insistance.
Je ne te lâcherai pas avant que tu ne te lèves et, si tu mets trop de temps, tu risques d’avoir un koala dans le dos. Alors magne tes fesses Sloan.
Ce qu'elle pouvait être chiante quand elle voulait cette Candice. Sloan finit par se résoudre à enfin se lever mais il lança un regard noir à la brunette. L'esprit brumeux, il se massait la nuque tandis qu'il émergeait.
- "J'suis sûr qu'on pourrait en faire un bon ragoût pourtant si on le dépeçait ce koala."
D'une voix grave et d'un ton méprisant, l'homme reluqua Candice de haut en bas avec pas mal de dédain. Rien de bien méchant, il le faisait tout le temps. C'était presque comme de lui dire bonjour avec le sourire. Sloan se redressa, s'étira les épaules, fit claquer sa nuque en remuant la tête.
- "Allons-y."
Le premier piège n'était pas trop loin du campement, il se situait derrière une petite colline en aval de la falaise. Un piège à collet classique pour attraper des lapins. Quelques personnes avaient repéré des traces de terriers, sans savoir quel trou en était l'entrée ou la sortie alors il y avait un piège à chacun d'eux pour être certain de chopper la bestiole. Les voilà donc au premier. Sloan regarda le piège et celui-ci était malheureusement vide. Ceci dit, il demanda à Candice d'approcher. Il la siffla comme on siffle un petit chien.
Le regard furibond de son ami ne fait rien d’autre que de dessiner un grand sourire sur le visage de Candice. Elle se relève et pose ses mains sur ses hanches, fière de son coup. Même la tentative de provocation de Sloan ne lui fait pas perdre la bonne humeur que lui amène cette petite victoire matinale. Elle se contente de lever les yeux au ciel et le suit quand il se met en chemin.
Assez guillerette et au grand damne de Sloan, la demoiselle marche à ses côtés en fredonnant un petit air de chez elle. Ils arrivent bien vite au premier piège et Candice laisse Sloan s’en charger. Non pas qu’elle a la flemme, mais elle préfère qu’il le prévienne si une bête est prise dans le piège et si elle est toujours en vie pour se préparer mentalement. Quand il la siffle, elle fronce les sourcils.
J’ai un prénom, tu sais ?
Elle soupire et approche, puis voyant le piège vide elle se retourne vers lui, un peu perdue.
Je suis censée voir quoi au juste, Mc Torride ?
Elle savait que Sloan n’aimait pas les surnoms, mais c’était la seule chose qui lui était venu en tête la première fois qu’elle avait entendu son prénom. Sa fâcheuse manie d’associer les gens aux personnages des films et séries qu’elle regarde pouvait être une plaie pour ceux qui se voyait affublé de ces petits surnoms, mais elle trouvait toujours du plaisir à le faire. Après tout, même indépendamment du personnage, ça lui allait plutôt bien finalement.
Il avait presque envie de lui répondre qu'il se cognait de savoir qu'elle avait un prénom, c'était un prénom d'idiote brune comme sa tête d'asticot de toute façon. Il se retint parce qu'elle n'aurait pas approché sinon. Candice vint voir par ici et quand son attention se porta sur le piège vide, Sloan lui ficha une bonne grosse claque au cul pour la faire tomber dedans. Heureusement, elle n'était pas suffisamment proche pour activer le piège et trop grande pour être soulevée puis suspendue à l'arbre adjacent comme un appât de pêche. Dommage. Ça lui aura tout de même fait une petite frousse. C'était pas plus mal. D'un autre côté, il aurait fallu remonter le piège si elle se l'était pris.
Sloan sourit de sa connerie et se releva comme si de rien n'était.
- "Bon si t'as fini de faire mumuse, on pourrait aller voir ailleurs."
Un peu plus loin se trouvait un autre piège. Sloan le vérifia à son tour mais cette fois-ci, la prise était bonne. Voilà un bon lapin fraîchement choppé. Quoiqu'il semblait déshydraté. Il appela Candice pour lui demander de faire la sale besogne, normal. C'était la première fois qu'ils choppaient un lapin. Il ramassa une bonne grosse pierre et la donna à Candice (ou plutôt il lui mit dans la main de force). D'un ton encourageant, il poursuit :
- "Allez vas-y achève-le. Un bon coup dans la tête si tu veux pas qu'il souffre."
C'était vil et cruel mais c'était comme ça. Il fallait tuer le lapin au risque de le laisser s'échapper avec une mauvaise manip. Il finirait dans la casserole de toute façon. Ce n'était pas forcément plaisant de fracasser la tête d'un petit animal, beaucoup tournaient de l'oeil quand venait le moment. Il voulait embêter Candice, voir si elle aurait les tripes de le faire. Bien sûr, si elle en était incapable (ce qu'il croyait), il comptait prendre le relais. Ça ne lui faisait ni chaud ni froid.
Lorsque la main de Sloan vient claquer contre ses fesses, Candice est prise par surprise et en perd l’équilibre. Elle tombe à genoux devant le piège, appuyée sur ses mains pour éviter de finir allongée face contre terre. Alors que Sloan se relève, elle se redresse sur ses genoux et frotte ses mains contre son pantalon en grommelant.
- Gngngn, espèce d’idiot.
Elle soupire, se relève et le suit, sans pour autant éviter de se tenir trop près de lui. Elle savait qu’il pouvait être con parfois, mais elle ne se ferait pas avoir deux fois de suite. Marchant sur ses pas, elle se tient derrière lui et passe la tête par-dessus son épaule alors qu’il semble extirper un animal du piège. Candice hoquette de surprise et s’attriste en voyant le lapin qui essaye d’échapper des mains de Sloan. Voyant ce dernier lui mettre la pierre dans la main, Candice essaye de lui rendre en hochant négativement de la tête rapidement :
- Ah non ça c’est hors de question.
- "Allez vas-y achève-le. Un bon coup dans la tête si tu veux pas qu'il souffre."
- Mais je… Candice regarde la pierre puis baisse les yeux vers le lapin qui s’agite entre les doigts de Sloan. Leurs regards se croisent et l’animal semble arrêter de gesticuler, comme s’il savait que tout allait se jouer maintenant. La demoiselle crispa ses lèvres, ferma les yeux pour prendre une grande respiration mais lorsqu’elle les rouvrit, les grands yeux du lapin la fixait. Prise par les sentiments, elle regarda Sloan puis le lapin et s’écria en lui tendant le caillou :
- Non, je ne peux pas ! Je ne suis pas assez forte pour le faire, je… Fais-le toi !
Elle se dit intérieurement que, si ça se savait au camp, elle ne pourrait bientôt plus faire les rondes pour les pièges. Du moins pas sans Sloan, vu qu’elle comptait sur lui pour s’occuper de leurs proies. Exaspérée par ce constat, elle se dit qu’elle devrait peut-être commencer à s’y mettre si elle veut survivre et servir à autre chose que repérer les plantes et fruits comestibles. Même si en soit, elle était une des rares à s’y connaître assez pour se prononcer sans se tromper. Elle ramène la pierre vers elle et la retourne dans tous les sens.
- Oh et puis zut… C’est lui ou nous…
Alors que Sloan maintenait l’animal immobile au sol, elle lève la pierre au-dessus de sa tête et vient lui asséner le coup de grâce. Le bruit de la roche contre le crâne du lapin la fait grimacer et lorsqu’elle rouvre les yeux, le voyant étendu là et voyant ce qu'elle venait de faire, elle se sent tomber dans les pommes.
Sloan prit un air mesquin parce qu'elle réagissait exactement comme il s'y attendait. Néanmoins, il s'étonna rapidement quand il vit Candice prendre son courage à deux mains de chiffe molle. Le coup porté était maladroit mais suffisamment fort pour dégommer le lapin. Évidemment, ce n'était pas facile à encaisser pour une brunette à la main en mousse alors elle tourna de l'œil presque immédiatement. Sloan tiqua et tenta de la maintenir avec lui.
- "Hé, t'avise pas de clamser ici, sinon j'te traîne jusqu'au camp et c'est toi qu'on dépècera pour le dîner."
Il vérifia les constantes du lapin et une fois certain que l'animal était mort, Sloan ligota ses pâtes arrières avec du fil de paille. C'était plus facile à le transporter ainsi.
Ils partirent vérifier le dernier piège mais aucun lapin en vue. À mi-chemin vers le camp, Sloan s'arrêta et allongea l'animal sur le dos.
Candice sent lentement son corps céder sous son poids, mais quelque chose la retient de chuter. Quelqu’un. Elle pose sa main sur l’épaule de Sloan et y repose sa tête, le temps de retrouver ses esprits. Cela avait été plus dur à tenir qu’elle ne le pensait. Elle s’écarte de lui en l’entendant proférer « gentiment » manifester son inquiétude à son égard :
C’est bon, ca va… Pff.
Elle remue la tête pour se remettre d’aplomb, puis le suit en marchant sur ses pas. Elle espérait de tout cœur qu’il n’y en ait pas d’autre parce qu’elle n’était pas prête à remettre ça. Et son souhait fut exaucé. Candice entendait encore le bruit du caillou entrant en collision avec le crâne du lapin. Brrr…
Elle fait le chemin du retour aux côtés de Sloan et non plus à sa suite, évitant ainsi de voir le lapin balloter dans la main de son ami. Lorsque ce dernier s’arrête et lui demande d’approcher, elle se fige sur place.
Pardon ?
Elle cille des yeux, avec une mine un peu déconfite :
Ca va pas la tête ? Tu ne crois quand même pas que je vais faire ça alors que j’étais à deux doigts de tomber dans les pommes ?! FAIS LE TOUT SEUL !
Candice part coller son épaule contre l’arbre le plus proche, tournant le dos à Sloan en croisant les bras. Ce qu’il pouvait être idiot et borné celui-là !
Sloan souriait en coin parce que ça l'amusait de voir Candice se débiner et partir dans un coin pour faire semblant de ne plus le voir. Une vraie gamine. Il secoua légèrement la tête et clapa la langue plusieurs fois, désabusé, même si amusé. D'un ton plus que plaintif et insistant, il s'adressa encore à la brune.
- "Il est mort maintenant, il ressent plus rien. Viens là j'te dis."
Pour donner plus de force à ses mots, il la prit par les sentiments.
- "Si on s'en occupe pas maintenant, ses organes vont pestiférer et il sera plus viable. Tu veux priver les gamines de manger de la bonne viande pour une fois ?"
Tout en essayant de la convaincre, Sloan cognait une pierre contre une autre pour la "tailler" de part et d'autre, faisant un couteau de fortune.
Appuyée contre son arbre, Candice en profite pour regarder la cime et le feuillage de ceux qui l’entoure. Peut-être que certains ont des fruits qu'elle pourrait rapporter. Lorsqu’elle entend Sloan l’ouvrir à nouveau, elle voit tout de suite où il veut en venir :
Je vois très bien ce que tu essaye de faire Sloan, mais tu peux très bien t'occuper de ce lapin tout seul !
Il pouvait bien essayer de la faire culpabiliser, il n’avait pas besoin d’un boulet comme elle dans ses pattes pour dépecer ce pauvre petit lapin. Elle avait d’autres capacités pour ramener de la nourriture et préférait encore voir les petites manger du poisson et des fruits, plutôt que de leur mettre sous le nez un lapin qu’elle aurait elle-même eu bien du mal à dépecer sans vomir ses tripes. Rien que d’y penser, elle avait la nausée et les entrechocs entre les cailloux de Sloan lui donnait des frissons.
Fais-ça vite, qu’on en finisse avec cette pauvre bête…
Continuant d'éviter de regarder dans sa direction, Candice se met sur la pointe des pieds pour grimper à la première branche de son arbre.
Cette fois-ci était trop pour elle. Sloan roula des yeux et n'insista pas plus. Elle savait y faire quand il s'agissait de jouer l'autruche. Sloan étendit le lapin mort sur le dos, tira la peau à partir de l'abdomen et la découpa. Ensuite, il s'affaira à la "tirer", la "déchirer" en deux pour l'élargir. La peau était rigide et le sang ne giclait pas de partout, celui-ci ayant eu le temps de coaguler. Les muscles de l'animal à vif, Sloan continuait son dépeçage mais il avait besoin d'aide.
- "Candice, viens là j'ai besoin de toi. T'auras juste à tenir et à fermer tes yeux si tu veux."
Sloan se leva, les mains pleines de sang et attrapa l'épaule de la brune pour qu'elle cesse de lui tourner le dos comme une sale gosse. C'était marrant pendant cinq minutes, maintenant il fallait qu'elle contribue un minimum, elle qui s'était joyeusement levée pour l'emmerder dès le matin et qui lui laissait toute la besogne.
Candice se contente de grommeler d’un air boudeur quand Sloan l’interpelle, mais lorsqu’elle sent sa main sur son épaule, elle baisse les yeux vers celle-ci. La vision du sang sur ses mains la fait sursauter et se dégager de la main de Sloan avec une grimace d’écœurement, du coup elle s’agite en tenant la distance avec lui :
Wow wow wow ! Me touche pas avec tes mains pleines de sang ! C’est bon je vais t’aider, mais refait pu jamais ça !
Elle a un petit frisson de dégout et secoue la tête, avant de jeter un œil sur ce qu’il restait du lapin maintenant dénudé. Elle va chercher des feuilles et les pose sur les pattes du lapin pour le tenir sans y toucher directement, vu qu’il y a du sang dessus.
Ce… C’est bon, tu peux y aller…
Au lieu de faire comme il a dit, elle décide de plutôt fixer Sloan pendant qu’il commence à s’affairer. Au moins, elle n’imaginera pas le pire dans sa tête en ayant les yeux fermés. N’empêche, c’est fou ce qu’il a l’air différent quand il est concentré.
Quelle chochotte cette Candice quand même. Elle partit en pétard de feu juste en voyant des tâches de sang. Sloan la dévisagea avec de gros yeux en désarroi et soupira de dépit lorsqu'il vit qu'elle s'en alla prendre des feuilles pour stériliser le contact avec les pattes du lapin. Approchant, désabusé, Sloan secouait doucement la tête et roulait des yeux. Au moins, elle faisait ce qu'il demandait.
Sloan poursuivit le dépeçage, attaquant désormais le plus délicat et le moins agréable. Il perça le sternum du lapin et découpa en vertical jusqu'au bas du ventre. De cette large ouverture, il débarrassa l'animal de ses entrailles. L'odeur était désagréable et les bruits de friture visqueuse dérangeant. Il avait presque fini. Candice devait tenir la carcasse pour qu'elle ne se retourne pas dans tous les sens, à mesure que Sloan procédait au "vidage".
- "Ok, c'est bon, tu peux aller vomir." lui dit-il avec sarcasmes.
Une chance pour eux, ce lapin était un grand spécimen bon en chair, il fournirait de la bonne viande. Sloan était assez content de leur prise. Beaucoup pourraient en profiter dans le camp. Il était temps de partir. Sloan se releva, lapin en main et repartit vers le camp, sans trop attendre Candice. Il marchait assez lentement, elle n'avait qu'à le suivre.
