Le soleil cognait durement en ce milieu de journée, ce qui convenait parfaitement à l'hybride. Elle consacrait cette journée à la récolte, ayant trouvé un gisement d'huîtres perlières non loin de chez elle. De fait, sa maison n'était dissimulée que par l'angle de la falaise basse qui constituait ici le rivage.
Venue à pieds, elle avait déposé un sac, un seau, et ses vêtements au pied d'un arbre dangereusement penché au-dessus des vagues. Le petit tas faisait un butin incongru en ce lieu isolé, laissant peut-être craindre qu'une âme en peine s'était abandonnée à l'étreinte salée pour mettre fin à ses tourments. Mais le contenu du seau apportait à cette idée un doute par son contenu. Baignant dans l'eau qui les maintenant fraîches, il était à demi rempli d'huîtres, au-dessus desquelles nageait un petit hareng.
A la force de son bec crochu, Jezabel les avait arrachées à la roche pour en recueillir les éventuels trésors. Elle les ouvrirait un peu plus tard, dans l'espoir qu'elles contiennent de précieuses perles. Leur nacre était recherchée aussi, et leur chair lui ferait un en-cas, en complément du poisson qu'elle gardait pour son dîner, après qu'il se soit présenté presque de lui-même sous son bec lors d'une plongée.
Mais pour l'heure, elle se reposait, perchée parmi les branches les plus avancées de l'arbres, les ailes étendues afin de les sécher. Jusqu'à ce qu'un bruit la sorte de sa somnolence. Voyant un intrus approcher de ses trésors, elle se mit à crier et à battre vigoureusement des ailes, dans l'espoir de le chasser.
Il y avait des jours où Pacha se contentait de se promener en toute discrétion sous sa forme humaine et d'autres où elle préférait sa forme animale. Elle avait beau être assez grande et de couleur sombre, elle parvenait, dans l'ensemble, assez facilement à se camoufler. Chasser était une activité qui lui plaisait beaucoup. Ce jour là, ses pas l'avaient menés jusqu'au bord d'une falaise qui surplombait la mer. Elle avait repéré le manège d'un oiseau qui faisait des aller-retours entre un arbre et l'eau. Bien que loin d'être une experte en zoologie, elle se doutait, pour avoir pu l'observer dans d'autres circonstances, que l'oiseau risquait de devoir se sécher avant de reprendre son envol.
Elle avait décidé de garder sa forme animale, espérant qu'il n'y aurait pas d'humains dans les environs qui pourraient faire le rapprochement avec la théorie selon laquelle les seules panthères que l'on pouvaient trouver étaient uniquement des hybrides. Sinon il lui faudrait courir pour leur échapper. Mais pour le moment, là n'était pas la question. Elle ne percevait aucune présence autre que celle de l'oiseau et le poisson qui tournait dans le seau en faisant parfois un léger clapotis à la surface de l'eau.
L'oiseau la repéra et sortit de sa somnolence, ce qui ne l'arrangeait pas du tout. Elle se figea et le regarda en laissant un miaulement rauque. Si il y avait un seau, il y avait fort à parier qu'il y avait aussi un humain par ici. Mais où était il ou elle ? S'allongeant sur le sol pour se faire plus discrète, elle humait l'air iodé en essayant de savoir pourquoi elle ne trouvait pas l'odeur de la personne à qui étaient les affaires sous l'arbre. Roulant sur le dos, elle tenta d'apaiser l'oiseau. Elle ne voulait pas lui voler son butin, elle était simplement curieuse. Pas certain que cela fonctionne, mais au moins avait-elle essayé. Sinon il lui faudrait reprendre forme humaine ici avant que quiconque ne la voit ainsi.
Une seule chose qui retenait l'angoisse de Jezabel face au chat géant qui était sorti des bosquets : c'était forcément un hybride. Du moins elle l'espérait très fort et tentait de s'en convaincre. Alors, si elle montrait un comportement humain, elle ne finirait pas en repas, n'est-ce pas ? Le cannibalisme ne se produisait que dans des situations désespérées, des famines, pas simplement parce qu'un hybride prédateur croisait un hybride proie. N'est-ce pas ? Sinon, il lui faudrait plonger en catastrophe.
Tout en se tenant prête à l'élancer vers l'eau, elle s'approcha lentement, très prudemment, de l'imposante créature qui pour l'heure se comportait comme le chat de ses parents voulant une gâterie. Peut-être que, si elle lui donnait son poisson ? Elle préférait sauter un repas qu'en devenir un. Alors, très prudemment, les ailes à demi déployées, elle approcha du seau. Elle était encore trop moyée pour voler efficacement, mais il lui suffirait d'un bond pour franchir le bord escarpé et se laisser tomber dans l'eau. Après quoi, il serait toujours temps d'aviser.
Du bout du bec, elle récupéra le hareng qui se mit à se débattre, et le lança vers le chat noir, avant de s'écarter d'un bond. Espérant que le supposé hybride face à elle n'avait pas l'intention de s'emparer des huîtres, soit qu'il ne soit pas un voleur, soit qu'il n'en devine pas la valeur. Et qu'il ne veuille pas la manger maintenant qu'elle n'était clairement pas un oiseau sauvage. C'était pour cela qu'elle ne mangeait presque pas de viande, et jamais de gros poissons : elle était terrifiée à l'idée de manger un hybride tué avant d'avoir pu se transformer... Et elle craignait de subir ce sort. Mais sa forme humaine n'était pas de taille à lutter contre le félin non plus. Et elle préférait éviter de se retrouver nue devant un parfait inconnu.
