Depuis peu, le commandant Redrum était affairé à s'investir dans une enquête en interne concernant un fléau particulier. De nombreux cas de combustions instantanées étaient rapportés et malgré l'absence d'annonce officielle à ce sujet, certains commandants se penchaient déjà sur l'étrange mal qui sévissait. La maladie étant d'origine d'ignition, ce fut tout naturellement à Redrum qu'on s'adressa, lui qui possédait les flammes noires. Cette affliction semblait faire partie de ses cordes. L'armée attendait de lui des réponses car des rumeurs alarmistes circulaient à propos de cette maladie.
Redrum prenait l'étude calmement, sans se précipiter, afin de trier sur le volet les bonnes conclusions. Des soldats qui présentaient des signes de maladie étaient confinés dans un endroit souterrain. Cette mesure était prétexte à éviter la propagation de la maladie, or le commandant démon savait parfaitement ce qui attendait en réalité ces malheureux. Redrum avait fait enfermé quatre soldats stigmatisés par la maladie, chacun à des stades différents, du plus léger au plus avancé. Ce choix n'était pas anodin, il lui fallait étudier la question, pour cela il avait besoin de comparer, disséquer, tester. Redrum n'avait aucun remord à entreprendre de telles manipulations sur ses propres soldats. Il les savait déjà condamnés et considérait à leur place que mourir pour l'armée était le b.a.-ba d'une conduite de soldat.
Pour la discrétion, il fit appel au démon à sonnettes Volac afin que celui-ci le seconde dans cette tâche fastidieuse. Redrum admettait les talents de boucher du vil personnage. Il lui donna rendez-vous dans l'aile ouest reculée des souterrains infernaux. Devant une pièce dont il était le seul à avoir la clef, le commandant démon attendait que son associé arrive. Dans un couloir éclairé par une flamme vacillante et inquiétante, Redrum affûtait une dague en or, la frottant contre un fusil à aiguiser.
Redrum : Vous voilà enfin, Volac.
Le commandant continuait d'aiguiser sa lame puis il s'arrêta et observa son œuvre. Il tendit finalement le manche de la dague à Volac.
Redrum : Prenez.
Ordre simple. Il ouvra ensuite la pièce derrière lui et invita l'autre démon à le suivre sans bavasser.
Volac avait encore en travers de la gorge le fait qu’un gamin pseudo soldat soit fourré dans ses pattes pour une mission aussi périlleuse que celle qu’on lui avait confiée. Ce genre de mission, ils les aimaient en solo pour avoir la main sur tous les paramètres de l’équation. Ce que le commandant Redrum devait bien savoir, puisqu’ils se connaissaient de longue date et qu’il ne lui attribuait jamais une mission à la légère. Le démon à sonnettes avait tout de même eu l’orgueil assez titillé pour envoyer valser la missive du commandant.
Toutefois, sa curiosité fut piquée au vif et il finit par la lire, ce qui réveilla son égo. Redrum ne passait jamais par quatre chemins et ça semblait important. Il le voulait lui et pas un autre. De plus, qu’il soit question de torture attisait d’autant plus son esprit sadique. Habituellement, le commandant voulait des résultats et non pas assister à tout ce qui les précédait, c’était l’occasion de lui montrer à quel point il était doué dans son domaine.
Il se rendit alors dans l’aile ouest, s’enfonçant dans les souterrains sombres, éclairés par le minimum syndical d’une torche par couloir. Lorsqu’il aperçu la silhouette de Redrum au point de rendez-vous, il arriva à sa hauteur, attrapa l’arme puis avança à sa suite avec un sourire en coin :
Volac : "Un rendez-vous dans un recoin sombre à cette heure-ci et dans un endroit secret, mon commandant ? Vous savez, si je ne vous connaissez pas autant j’aurai pu prendre ça pour des avances..."
Il ne cacha pas son air lubrique, ni la pensée qui lui traversait l’esprit, et sourit de toutes ses dents à son supérieur. Il savait qu’il ne valait mieux pas trop chercher le démon aux flammes noires, mais c’était encore plus douteux de la part de Volac de ne rien tenter. Il fit alors dériver la discussion vers le sujet initial :
Volac : "Une arme en or ? Je pensais que vous vous préfériez vous occuper des traîtres vous-mêmes, mais je me ferai un plaisir de leur faire payer le prix de leur erreur. "
Insensible au badinage suggestif de Volac, Redrum ne lui lança aucun regard intrigué, ni même incommodé ou encore indigné.
Redrum : Trêve de bavardages.
Le commandant s'enfonça toujours plus dans les souterrains. En effet, la salle fermée donnait sur une trappe sombre, sans lumière, permettant d'accéder à un niveau inférieur via des escaliers. Tandis que le commandant descendait les marches, des torches froides s'allumaient de la couleur de ses flammes, offrant alors un chemin ne se dévoilant que petit à petit, telle la pénombre engouffrée des enfers. Des cris infâmes emplis de douleur et de malheur, similaires aux lamentations infernales, se faisaient entendre. Au bout des escaliers, une salle principale donnant sur quatre portes : deux en face, juxtaposées, et deux autres, une sur chaque côté de la pièce. Ici bas, une lumière vint éclairer la salle via une sorte de chandelier en hauteur.
Le commandant démon s'avança près d'une porte, celle située sur le mur de droite, mais avant d'entrer, il se tourna vers le démon à sonnettes.
Redrum : Vous savez sûrement qu'une affliction frappe nos troupes. Notre priorité n'est pas d'en déterminer la cause mais d'explorer en détails ses effets. Je n'ai pas besoin de médecin pour ça, j'ai besoin de quelqu'un qui sache faire parler. En l'occurrence vous, Volac. Vous allez faire parler des soldats pour moi.
Il avait une façon éloquente de dire qu'il attendait de son subalterne qu'il dissèque des soldats vivants, que leurs corps mutilés serviraient peut-être de réponses aux questions que tous se posent, au prix d'expérimentations sombres.
Le commandant démon ouvrit la porte. À l'intérieur de la salle, un soldat ligoté, bâillonné et affaibli était allongé sur une table en métal noir. Sa chair poreuse et craquelée était parsemée de cloques.
Redrum : Il y a quelques jours à peine, celui-ci avait simplement quelques craquelures sur l'épiderme, maintenant, la maladie le ronge et dévore sa peau. La température corporelle est constamment en hausse depuis.
Simple topo pour commencer.
Redrum : Que suggéreriez-vous pour tenter d'y remédier, soldat ?
Il s'appuya hanche contre table et croisa les bras, toisant son subalterne.
Volac se fichait du manque de réaction de son commandant, connaissant son caractère il se dit même qu’il était de bonne humeur. Il le suivit à l’intérieur de la pièce, marchant sur ses pas et, lorsqu’il aperçut la table de métal et les liens qui retenaient le soldat, son sourire de sadique s’étira naturellement.
Volac : "Faire parler et faire taire, ce sont mes spécialités."
Même si c’était l’un des leurs, Volac ne pouvait résister à cette vue et à ce que ça provoquait chez lui. Si ce malheureux était attaché là, sans essayer de se défaire de ses liens, c’est qu’il se sacrifiait pour son camp. Volac s’appliquerait à ce que son sacrifice ne soit pas vain. Il redressa la tête vers Redrum levant la lame à l’horizontale devant ses yeux pour en inspecter l’usure :
Volac : "Je suggère qu’on examine ces cloques et autres symptômes de plus près, à chaque endroit, et qu’on aille ensuite voir comment ça se passe en profondeur. Le peler à vif ne sera pas très agréable, mais il faut voir à quelle point la chair est atteinte par ce genre de brûlures. "
Le démon à sonnette s’approcha de la table et du commandant, se penchant alors par-dessus le soldat attaché et le fixant dans les yeux :
Volac : " Mais avant tout cela, on devrait peut-être t’enlever ton baillon histoire que tu nous racontes ce que tu étais exactement en train de faire quand tout ça a commencé à apparaître."
La cautérisation portait ses fruits, même si elle n'était pas une solution envisageable sur le long terme. Les brûlures infligées étaient très douloureuses et augmentaient le risque d'infection. L'épiderme s'en retrouvait extrêmement fragilisé. Volac le lui fit rapidement remarquer et suggéra d'utiliser le temps imparti du soldat mourant pour confirmer leur hypothèse à propos de l'exposition à la lumière. Malgré qu'il en était déjà convaincu et ne ressentait pas le besoin de valider la théorie, le commandant déclencha ses flammes et amplifia son pouvoir d'ignition qui accéléra violemment le processus infectieux. Le soldat succomba au mal, après une dernière agonie hurlée qui résonna jusque dans les profondeurs de la forteresse.
Sans traîner sur ce cas, Redrum quitta la pièce et alla voir le dernier soldat. Hélas, sans même avoir besoin de tourner la poignée, il sentit l'odeur des cendres de poussières qui émanait de là. Le démon à l'intérieur avait péri. Sans doute s'était-il suicidé pour ne pas vivre l'expérience douloureuse de ses prédécesseurs. Redrum renonça à ouvrir, ce n'était pas la peine. Un soupir pensif s'échappa de ses poumons. Redrum n'aimait pas cette impression de défaite. Il se retourna et toisa Volac. Son regard était bien sombre mais annonciateur et décisif.
Redrum : Nous en avons terminé. Je ferai prochainement un communiqué sur les directives à prendre pour nos troupes et j'en aviserai moi-même le Général. Pour l'instant, je vous recommande d'agir la nuit seulement, Volac.
D'un claquement de doigts, le commandant démon absorba toute la lumière du souterrain. Il progressa dans l'obscurité totale et se fit un chemin jusqu'à la sortie. Il connaissait les recoins de cet endroit donc cela ne lui posait pas problème. Après leurs observations, il ne souhaitait pas voir la lumière immédiatement, même pas celle que son coeur alimentait.
Redrum : Vous pouvez disposer.
Sa voix résonna dans le couloir obscur, tandis qu'il quittait Volac.
Cette affaire était le premier rouage du destin bien funeste qui les attendait tous au tournant. Était-ce l'heure finale ? Enfin ?
